Et si nous prenions le temps de méditer sur la Joie et la Beauté ?
Rien de tel que d’écouter l’éminent François Cheng (91 ans), écrivain, poète, calligraphe, membre de l’académie française, nous parler de la Beauté ! J’ai retranscrit ci-dessous une partie de la conversation entre l’excellent présentateur de la Grande Librairie François Busnel et François Cheng. Cette émission qui s’est déroulée en janvier 2020 est d’une grande profondeur. Je l’ai vécue comme un instant hors du temps, une nourriture pour l’esprit. Un moment de sagesse rare sur les écrans !
« François Cheng à l’éloquence d’un sage, la méthode d’un Socrate moderne »
Étienne de Montety, Le Figaro littéraire
François Busnel : Je me demande comment s’est fait votre processus de conversion, la première conversion. C’est-à-dire comment un jeune exilé chinois, qui traverse une crise existentielle, qui arrive avec ses blessures, qui vient d’un pays en guerre civile. Comment ce jeune homme, meurtri, devient-il l’avocat de la joie, de la vie, de la beauté ?
François Cheng : Vous parlez de la joie d’abord. Je crois que j’ai même publié un livre sur la joie !…
Pour atteindre la vraie joie, il faut passer par la souffrance. Et même par l’expérience des douleurs extrêmes. Sinon ce n’est pas de la vraie joie. C’est une joie factice, dès qu’une épreuve arrive, cette joie est effacée. Donc comme François d’Assise, a compris que la vraie joie, c’est lorsqu’on a traversé et touché le fond, à toucher des abimes et au-delà il y a cette reconnaissance, cette gratitude envers la vie… et là, ça c’est la vraie joie.
Donc par la suite j’ai mené un travail de réflexion sur tous les problèmes fondamentaux de la vie, à commencer par la Beauté.
François Busnel : Avant de parler de la Beauté, vous avez raison la vrai joie c’est lorsque l’on dépasse ses souffrances, mais pour ceux qui nous regardent et qui traversent peut être en ce moment des périodes terribles de souffrance. Comment fait-on pour trouver ce point de bascule de la souffrance à la vraie joie ? Comment est-ce qu’on en sort de la souffrance, dans votre cas ?
François Cheng : C’est indicible. J’ai connu bien sur des souffrances personnelles, mais à cause de mon âge, je porte en moi la souffrance de beaucoup d’autres destins. Y compris les êtres les plus chers qui sont passés par des épreuves au-delà des mots…
Donc, récemment quelqu’un m’a demandé : « maintenant avec votre âge, vous avez atteint la sagesse, vous avez atteint la sérénité ». J’ai dit : « pas du tout ! ». D’abord parce que je ne cherche pas la sagesse ! Chez moi c’est la passion. Et puis je ne cherche pas la sérénité. Au contraire ! Il faut continuer à se laisser travailler… par la souffrance du monde.
Si on est écrivain. Si on est digne de ce nom, il faut porter, dans la mesure du possible, toute la douleur du monde et essayer de les transformer, de les transfigurer en une sorte de lumière qui nous aide à vivre. Ça c’est notre devoir.
Donc vous venez de me parler de toute cette expérience de souffrance. Pour un écrivain comme je suis, je le considère comme une chance. Comme une chance ! C’est comme ça que jusqu’à mon âge, je reste un homme qui jusqu’à un certain degré reste valable. Je continue à porter témoignage et à transformer toutes ces choses en lumière, dans la mesure du possible.
François Busnel : Donc pour transformer toutes ces choses en lumière quand il y a toute la souffrance du monde, la souffrance personnelle, il faut écrivez-vous : chercher la Beauté. Chercher la beauté là où elle se trouve – et vous l’écrivez souvent – nous ne savons plus parfois nous guider, la découvrir, aveuglés que nous sommes par tout ce qui nous entoure. Alors il y a les téléphones portables, les emails, il y a l’urgence, il y a aussi le besoin de travailler. Mais comment faire au quotidien, pour trouver la Beauté là où elle est ?
François Cheng : Pour cela, laissez-moi vous dire un peu qu’est-ce que c’est la Beauté ?
La beauté n’est pas un simple ornement. La Beauté c’est un signe par lequel la création nous signifie que la vie à du sens. Avec la présence de la beauté, tout d’un coup on a compris que l’univers vivant n’est pas une énorme entité neutre et indifférenciée. Qu’il est mu par une intentionnalité. Vous dites qu’il est difficile de trouver la beauté, or la présence de la beauté est partout ! Une simple fleur c’est un miracle. Pourquoi une fleur qui s’épanouit en pétales atteint ce degré de perfection de forme et de couleur et de parfum ? Ça, on ne s’étonne jamais assez !
François Busnel : Si si moi ça m’étonne beaucoup, mais quelle est votre réponse, pourquoi ? Est-ce qu’il faut croire en la réponse des scientifiques ou celle des poètes ?
François Cheng : Non, non, c’est parce que c’est la beauté qui nous donne du sens. Pourquoi ?
Au sein de l’univers vivant, nous autres humains on se dirige d’instinct vers ce qu’il y a de beau. Tout à l’heure j’ai dit que l’univers n’est pas une entité neutre et indifférenciée. On se dirige vers un beau visage, vers un bel arbre, vers une montagne magnifique. Donc en se dirigeant vers quelque chose de beau, on prend une direction. Et dès que l’on prend une direction, nous ne sommes plus des êtres qui tournons aveuglément en rond comme des animaux en cage. Nous nous engageons dans un cheminement, dans un devenir qui pourrait aboutir à une forme de réalisation qui justifie notre existence. C’est pourquoi il faut d’abord parler du sens de la beauté ! L’univers est doué de cette beauté, c’est justement pour nous signifier que la vie à du sens. Je le répète !
Donc miraculeusement, toutes ces étapes que je viens de décrire : direction, cheminement, réalisation. Toutes ces étapes sont résumées en France par un seul mot monosyllabique, le mot : SENS.
La beauté introduit le sens de la valeur. La beauté nous montre que tout n’est pas nivelé, que tout ne se vaut pas. Par exemple depuis l’antiquité jusqu’à aujourd’hui, l’or et le diamant, c’est-à-dire la matière la plus noble, la plus rayonnante reste l’étalon indétrônable. J’ai lu ces jours-ci que l’or monte encore parce que c’est la valeur sure. Pourquoi les primitifs ont choisi l’or comme étalon ? Parce que c’est beau ! Donc la beauté en plus du sens introduit l’idée de valeur. Bien sûr il s’agit là d’une valeur matérielle. Mais par la suite cette valeur à préludé à d’autres valeurs, c’est-à-dire aux valeurs de la création artistique, la valeur morale, la valeur spirituelle.
François Busnel : Est-ce à dire que vous faites un lien entre la quête de la beauté et la quête de la morale et de la spiritualité ?
François Cheng : Tout à fait !
Cinq méditations sur la Beauté de Francois Cheng
« En ces temps de misères omniprésentes, de violences aveugles, de catastrophes naturelles ou écologiques, parler de la beauté pourrait paraître incongru, inconvenant, voire provocateur. Presque un scandale. Mais en raison de cela même, on voit qu’à l’opposé du mal, la beauté se situe bien à l’autre bout d’une réalité à laquelle nous avons à faire face. (…) Ce qui est en jeu n’est rien de moins que la vérité de la destinée humaine, une destinée qui implique les données fondamentales de notre liberté. » F.Cheng
Pour en savoir plus et découvrir ses ouvrages, voici le lien vers ses livres aux éditions Albin Michel.